• La musique

    LA MUSIQUE

    Ah ! chante encore, chante, chante !
    Mon âme a soif des bleus éthers.
    Que cette caresse arrachante
    En rompe les terrestres fers !

    Que cette promesse infinie,
    Que cet appel délicieux
    Dans les longs flots de l’harmonie
    L’enveloppe et l’emporte aux cieux !

     


    Les bonheurs purs, les bonheurs libres
    L’attirent, dans l’or de ta voix,
    Par mille douloureuses fibres
    Qu’ils font tressaillir à la fois…

    Elle espère, sentant sa chaîne
    À l’unisson si fort vibrer,
    Que la rupture en est prochaine
    Et va soudain la délivrer !

    La musique surnaturelle
    Ouvre le paradis perdu…
    — Hélas ! Hélas ! il n’est par elle
    Qu’en songe ouvert, jamais rendu.

     

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  • La jacinthe

     

    La jacinthe

    Dans un antique vase en Grèce découvert,
    D'une tombe exhumé, fait d'une argile pure
    Et dont le col est svelte, exquise la courbure,
    Trempe cette jacinthe, emblème aux yeux offert.

    Un essor y tressaille, et le bulbe entr'ouvert
    Déchire le satin de sa fine pelure ;
    La racine s'épand comme une chevelure,
    Et la sève a déjà doré le bourgeon vert.

    L'eau du ciel et la grave élégance du vase
    L'assistent pour éclore et dresser son extase,
    Elle leur doit sa fleur et son haut piédestal.

    Du poète inspiré la fortune est la même :
    Un deuil sublime, né hors du limon natal,
    L'exalte, et dans les pleurs germe et croît son poème.

     

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  • En voyage

     En voyage

    René-François Sully Prudhomme (1839-1907)


    Je partais pour un long voyage.
    En wagon, tapi dans mon coin,
    J'écoutais fuir l'aigu sillage
    Du sifflet dans la nuit, au loin ;

    Je goûtais la vague indolence,
    L'état obscur et somnolent,
    Où fait tomber sans qu'on y pense
    Le train qui bourdonne en roulant ;

    Et je ne m'apercevais guère,
    Indifférent de bonne foi,
    Qu'une jeune fille et sa mère
    Faisaient route à côté de moi.

    Elles se parlaient à voix basse :
    C'était comme un bruit de frisson,
    Le bruit qu'on entend quand on passe
    Près d'un nid le long d'un buisson ;

    Et bientôt elles se blottirent,
    Leurs fronts l'un vers l'autre penchés,
    Comme deux gouttes d'eau s'attirent
    Dès que les bords se sont touchés ;

    Puis, joue à joue, avec tendresse,
    Elles se firent toutes deux
    Un oreiller de leur caresse,
    Sous la lampe aux rayons laiteux.

    L'enfant, sur le bras de ma stalle,
    Avait laissé poser sa main
    Qui reflétait, comme une opale,
    La moiteur d'un jour incertain ;

    Une main de seize ans à peine :
    La manchette l'ombrait un peu ;
    L'azur, d'une petite veine,
    La nuançait comme un fil bleu ;

    Elle pendait, molle et dormante,
    Et je ne sais si mon regard
    Pressentit qu'elle était charmante
    Ou la rencontra par hasard,

    Mais je m'étais tourné vers elle,
    Sollicité sans le savoir :
    On dirait que la grâce appelle
    Avant même qu'on l'ait pu voir.

    « Heureux, me dis-je, le touriste
    Que cette main-là guiderait ! »
    Et ce songe me rendait triste :
    Un vœu n'éclôt que d'un regret.

    Cependant glissaient les campagnes
    Sous les fougueux rouleaux de fer,
    Et le profil noir des montagnes
    Ondulait ainsi qu'une mer.

    Force étrange de la rencontre !
    Le cœur le moins prime-sautier,
    D'un lambeau d'azur qui se montre,
    Improvise un ciel tout entier :

    Une enfant dort, une étrangère,
    Dont la main paraît à demi,
    Et ce peu d'elle me suggère
    Un vœu d'un bonheur infini !

    Je la rêve, inconnue encore,
    Sur ce peu de réalité,
    Belle de tout ce que j'ignore
    Et du possible illimité...

    Je rêve qu'une main si blanche,
    D'un si confiant abandon,
    Ne peut-être que sûre et franche,
    Et se donnerait tout de bon.

    Bienheureux l'homme qu'au passage
    Cette main fine enchaînerait !
    Calme à jamais, à jamais sage...
    — Vitry ! Cinq minutes d'arrêt !

    À ces mots criés sur la voie,
    Le couple d'anges s'éveilla,
    Battit des ailes avec joie,
    Et disparut. Je restai là.

    Cette enfant, qu'un autre eût suivie,
    Je me la laissais enlever.
    Un voyage ! Telle est la vie
    Pour ceux qui n'osent que rêver.

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  • La chanson de l'air

    La chanson de l'air

    A l'Air, le dieu puissant qui soulève les ondes
    Et fouette les hivers,

    A l'Air, le dieu léger qui rend les fleurs fécondes
    Et sonores les vers,

    Salut ! C'est le grand dieu dont la robe flottante
    Fait le ciel animé ;

    Et c'est le dieu furtif qui murmure à l'amante :
    "Voici le bien-aimé."

    C'est lui qui fait courir le long des oriflammes
    Les frissons belliqueux,

    Et qui fait voltiger sur le cou blanc des femmes
    Le ruban des cheveux.

    C'est par lui que les eaux vont par lourdes nuées
    Rafraîchir les moissons,

    Qu'aux lèvres des rêveurs s'élèvent remuées
    Les senteurs des buissons.

    Il berce également l'herbe sur les collines,
    Les flottes sur les mers ;

    C'est le breuvage épars des feuilles aux poitrines,
    L'esprit de l'univers.

    Il va, toujours présent dans son immense empire
    En tous lieux à la fois,

    Renouveler la vie à tout ce qui respire,
    Hommes, bêtes et bois ;

    Et dans le froid concert des forces éternelles
    Seul il chante joyeux,

    Errant comme les coeurs, libre comme les ailes,
    Et beau comme les yeux !

     

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  • Aux poètes futurs

    Aux poètes futurs

    Poètes à venir, qui saurez tant de choses,
    Et les direz sans doute en un verbe plus beau,
    Portant plus loin que nous un plus large flambeau
    Sur les suprêmes fins et les premières causes ;

    Quand vos vers sacreront des pensers grandioses,
    Depuis longtemps déjà nous serons au tombeau ;
    Rien ne vivra de nous qu'un terne et froid lambeau
    De notre oeuvre enfouie avec nos lèvres closes.

    Songez que nous chantions les fleurs et les amours
    Dans un âge plein d'ombre, au mortel bruit des armes,
    Pour des coeurs anxieux que ce bruit rendait sourds ;

    Lors plaignez nos chansons, où tremblaient tant d'alarmes,
    Vous qui, mieux écoutés, ferez en d'heureux jours
    Sur de plus hauts objets des poèmes sans larmes

     

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  • Les oiseaux

     

    René-François SULLY PRUDHOMME
    1839 - 1907

     

    Les oiseaux

    Montez, montez, oiseaux, à la fange rebelles,
    Du poids fatal les seuls vainqueurs !
    A vous le jour sans ombre et l'air, à vous les ailes
    Qui font planer les yeux aussi haut que les coeurs !

    Des plus parfaits vivants qu'ait formés la nature,
    Lequel plus aisément plane sur les forêts,
    Voit mieux se dérouler leurs vagues de verdure,
    Suit mieux des quatre vents la céleste aventure,
    Et regarde sans peur le soleil d'aussi près ?

    Lequel sur la falaise a risqué sa demeure
    Si haut qu'il vît sous lui les bâtiments bercés ?
    Lequel peut fuir la nuit en accompagnant l'heure,
    Si prompt qu'à l'occident les roseaux qu'il effleure,
    Qnand il touche au levant, ne sont pas redressés ?

    Fuyez, fuyez, oiseaux, à la fange rebelles,
    Du poids fatal les seuls vainqueurs !
    A vous le jour, à vous l'espace ! à vous les ailes
    Qui promènent les yeux aussi loin que les coeurs !

    Vous donnez en jouant des frissons aux charmilles ;
    Vos chantres sont des bois le délice et l'honneur ;
    Vous êtes, au printemps, bénis dans les familles :
    Vous y prenez le pain sur les lèvres des filles ;
    Car vous venez du ciel et vous portez bonheur.

    Les pâles exilés, quand vos bandes lointaines
    Se perdent dans l'azur comme les jours heureux,
    Sentent moins l'aiguillon de leurs superbes haines ;
    Et les durs criminels chargés de justes chaînes
    Peuvent encore aimer, quand vous chantez pour eux.

    Chantez, chantez, oiseaux, à la fange rebelles,
    Du poids fatal les seuls vainqueurs !
    A vous la liberté, le ciel ! à vous les ailes
    Qui font vibrer les voix aussi haut que les coeurs !

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  • La terre et l'enfant

     

    René-François SULLY PRUDHOMME
    1839 - 1907

     

    La terre et l'enfant

    Enfant sur la terre on se traîne,
    Les yeux et l'âme émerveillés,
    Mais, plus tard, on regarde à peine
    Cette terre qu'on foule aux pieds.

    Je sens déjà que je l'oublie,
    Et, parfois, songeur au front las,
    Je m'en repens et me rallie
    Aux enfants qui vivent plus bas.

    Détachés du sein de la mère,
    De leurs petits pieds incertains
    Ils vont reconnaître la terre
    Et pressent tout de leurs deux mains ;

    Ils ont de graves tête-à-tête
    Avec le chien de la maison ;
    Ils voient courir la moindre bête
    Dans les profondeurs du gazon ;

    Ils écoutent l'herbe qui pousse,
    Eux seuls respirent son parfum ;
    Ils contemplent les brins de mousse
    Et les grains de sable un par un ;

    Par tous les calices baisée,
    Leur bouche est au niveau des fleurs,
    Et c'est souvent de la rosée
    Qu'on essuie en séchant leurs pleurs.

    J'ai vu la terre aussi me tendre
    Ses bras, ses lèvres, autrefois !
    Depuis que je la veux comprendre,
    Plus jamais je ne l'aperçois.

    Elle a pour moi plus de mystère,
    Désormais, que de nouveauté ;
    J'y sens mon coeur plus solitaire,
    Quand j'y rencontre la beauté ;

    Et, quand je daigne par caprice
    Avec les enfants me baisser,
    J'importune cette nourrice
    Qui ne veut plus me caresser.

     

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  • Chagrin d'automne

    Titre : Chagrin d'automne

     

    Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907)


    Les lignes du labour dans les champs en automne
    Fatiguent l'œil, qu'à peine un toit fumant distrait,
    Et la voûte du ciel tout entière apparaît,
    Bornant d'un cercle nu la plaine monotone.

    En des âges perdus dont la vieillesse étonne
    Là même a dû grandir une vierge forêt,
    Où le chant des oiseaux sonore et pur vibrait,
    Avec l'hymne qu'au vent le clair feuillage entonne !

    Les poètes chagrins redemandent aux bras
    Qui font ce plat désert sous des rayons sans voile
    La verte nuit des bois que le soleil étoile ;

    Ils pleurent, oubliant, dans leurs soupirs ingrats,
    Que des mornes sillons sort le pain qui féconde
    Leurs cerveaux, dont le rêve est plus beau que le monde !

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