• A la Mi-Carême

    A la mi-carême

    Alfred de Musset

    Le carnaval s’en va, les roses vont éclore ;
    Sur les flancs des coteaux déjà court le gazon.
    Cependant du plaisir la frileuse saison
    Sous ses grelots légers rit et voltige encore,
    Tandis que, soulevant les voiles de l’aurore,
    Le Printemps inquiet paraît à l’horizon.

    Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ;
    Bien que le laboureur le craigne justement,
    L’univers y renaît ; il est vrai que le vent,
    La pluie et le soleil s’y disputent l’empire.
    Qu’y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ;
    C’est sa première larme et son premier sourire.

    C’est dans le mois de mars que tente de s’ouvrir
    L’anémone sauvage aux corolles tremblantes.
    Les femmes et les fleurs appellent le zéphyr ;
    Et du fond des boudoirs les belles indolentes,
    Balançant mollement leurs tailles nonchalantes,
    Sous les vieux marronniers commencent à venir.

    C’est alors que les bals, plus joyeux et plus rares,
    Prolongent plus longtemps leurs dernières fanfares ;
    À ce bruit qui nous quitte, on court avec ardeur ;
    La valseuse se livre avec plus de langueur :
    Les yeux sont plus hardis, les lèvres moins avares,
    La lassitude enivre, et l’amour vient au coeur.

    S’il est vrai qu’ici-bas l’adieu de ce qu’on aime
    Soit un si doux chagrin qu’on en voudrait mourir,
    C’est dans le mois de mars, c’est à la mi-carême,
    Qu’au sortir d’un souper un enfant du plaisir
    Sur la valse et l’amour devrait faire un poème,
    Et saluer gaiement ses dieux prêts à partir.

    Mais qui saura chanter des pas pleins d’harmonie,
    Et tes secrets divins, du vulgaire ignorés,
    Belle Nymphe allemande aux brodequins dorés ?
    Ô Muse de la valse ! ô fleur de poésie !
    Où sont, de notre temps, les buveurs d’ambroisie
    Dignes de s’étourdir dans tes bras adorés ?

    Quand, sur le Cithéron, la Bacchanale antique
    Des filles de Cadmus dénouait les cheveux,
    On laissait la beauté danser devant les dieux ;
    Et si quelque profane, au son de la musique,
    S’élançait dans les choeurs, la prêtresse impudique
    De son thyrse de fer frappait l’audacieux.

    Il n’en est pas ainsi dans nos fêtes grossières ;
    Les vierges aujourd’hui se montrent moins sévères,
    Et se laissent toucher sans grâce et sans fierté.
    Nous ouvrons à qui veut nos quadrilles vulgaires ;
    Nous perdons le respect qu’on doit à la beauté,
    Et nos plaisirs bruyants font fuir la volupté.

    Tant que régna chez nous le menuet gothique,
    D’observer la mesure on se souvint encor.
    Nos pères la gardaient aux jours de thermidor,
    Lorsqu’au bruit des canons dansait la République,
    Lorsque la Tallien, soulevant sa tunique,
    Faisait de ses pieds nus claquer les anneaux d’or.

    Autres temps, autres moeurs ; le rythme et la cadence
    Ont suivi les hasards et la commune loi.
    Pendant que l’univers, ligué contre la France,
    S’épuisait de fatigue à lui donner un roi,
    La valse d’un coup d’aile a détrôné la danse.
    Si quelqu’un s’en est plaint, certes, ce n’est pas moi.

    Je voudrais seulement, puisqu’elle est notre hôtesse,
    Qu’on sût mieux honorer cette jeune déesse.
    Je voudrais qu’à sa voix on pût régler nos pas,
    Ne pas voir profaner une si douce ivresse,
    Froisser d’un si beau sein les contours délicats,
    Et le premier venu l’emporter dans ses bras.

    C’est notre barbarie et notre indifférence
    Qu’il nous faut accuser ; notre esprit inconstant
    Se prend de fantaisie et vit de changement ;
    Mais le désordre même a besoin d’élégance ;
    Et je voudrais du moins qu’une duchesse, en France,
    Sût valser aussi bien qu’un bouvier allemand.

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  • Titre : Conseils à une parisienne

    Poète : Alfred de Musset (1810-1857)

    Recueil : Poésies nouvelles (1850).

    Oui, si j'étais femme, aimable et jolie,
    Je voudrais, Julie,
    Faire comme vous ;
    Sans peur ni pitié, sans choix ni mystère,
    A toute la terre
    Faire les yeux doux.

    Je voudrais n'avoir de soucis au monde
    Que ma taille ronde,
    Mes chiffons chéris,
    Et de pied en cap être la poupée
    La mieux équipée
    De Rome à Paris.

    Je voudrais garder pour toute science
    Cette insouciance
    Qui vous va si bien ;
    Joindre, comme vous, à l'étourderie
    Cette rêverie
    Qui ne pense à rien.

    Je voudrais pour moi qu'il fût toujours fête,
    Et tourner la tête,
    Aux plus orgueilleux ;
    Être en même temps de glace et de flamme,
    La haine dans l'âme,
    L'amour dans les yeux.

    Je détesterais, avant toute chose,
    Ces vieux teints de rose
    Qui font peur à voir.
    Je rayonnerais, sous ma tresse brune,
    Comme un clair de lune
    En capuchon noir.

    Car c'est si charmant et c'est si commode,
    Ce masque à la mode,
    Cet air de langueur !
    Ah ! que la pâleur est d'un bel usage !
    Jamais le visage
    N'est trop loin du coeur.

    Je voudrais encore avoir vos caprices,
    Vos soupirs novices,
    Vos regards savants.
    Je voudrais enfin, tant mon coeur vous aime,
    Être en tout vous-même...
    Pour deux ou trois ans.

    Il est un seul point, je vous le confesse,
    Où votre sagesse
    Me semble en défaut.
    Vous n'osez pas être assez inhumaine.
    Votre orgueil vous gêne ;
    Pourtant il en faut.

    Je ne voudrais pas, à la contredanse,
    Sans quelque prudence
    Livrer mon bras nu ;
    Puis, au cotillon, laisser ma main blanche
    Traîner sur la manche
    Du premier venu.

    Si mon fin corset, si souple et si juste,
    D'un bras trop robuste
    Se sentait serré,
    J'aurais, je l'avoue, une peur mortelle
    Qu'un bout de dentelle
    N'en fût déchiré.

    Chacun, en valsant, vient sur votre épaule
    Réciter son rôle
    D'amoureux transi ;
    Ma beauté, du moins, sinon ma pensée,
    Serait offensée
    D'être aimée ainsi.

    Je ne voudrais pas, si j'étais Julie,
    N'être que jolie
    Avec ma beauté.
    Jusqu'au bout des doigts je serais duchesse.
    Comme ma richesse,
    J'aurais ma fierté.

    Voyez-vous, ma chère, au siècle où nous sommes,
    La plupart des hommes
    Sont très inconstants.
    Sur deux amoureux pleins d'un zèle extrême,
    La moitié vous aime
    Pour passer le temps.

    Quand on est coquette, il faut être sage.
    L'oiseau de passage
    Qui vole à plein coeur
    Ne dort pas en l'air comme une hirondelle,
    Et peut, d'un coup d'aile,
    Briser une fleur.

     


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  • Se voir le plus possible

    Poète : Alfred de Musset (1810-1857)

    Recueil : Poésies nouvelles (1850).

    Sonnet.

    Se voir le plus possible et s'aimer seulement,
    Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
    Sans qu'un désir nous trompe, ou qu'un remords nous ronge,
    Vivre à deux et donner son coeur à tout moment ;

    Respecter sa pensée aussi loin qu'on y plonge,
    Faire de son amour un jour au lieu d'un songe,
    Et dans cette clarté respirer librement
    Ainsi respirait Laure et chantait son amant.

    Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
    Cest vous, la tête en fleurs, qu'on croirait sans souci,
    C'est vous qui me disiez qu'il faut aimer ainsi.

    Et c'est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
    Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci :
    Oui, l'on vit autrement, mais c'est ainsi qu'on aime.

    Alfred de Musset.

     

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  • Premier frisson de l'hiver

    Sonnet : Que j’aime le premier frisson d’hiver…

    Alfred de Musset

    Que j’aime le premier frisson d’hiver ! le chaume,
    Sous le pied du chasseur, refusant de ployer !
    Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume,
    Au fond du vieux château s’éveille le foyer ;

    C’est le temps de la ville. – Oh ! lorsque l’an dernier,
    J’y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme,
    Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume
    (J’entends encore au vent les postillons crier),

    Que j’aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine
    Sous ses mille falots assise en souveraine !
    J’allais revoir l’hiver. – Et toi, ma vie, et toi !

    Oh ! dans tes longs regards j’allais tremper mon âme ;
    Je saluais tes murs. – Car, qui m’eût dit, madame,
    Que votre coeur si tôt avait changé pour moi ?

    Alfred de Musset

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