• Le soir au bord de la mer

     

    Le soir au bord de la mer

    Les bois épais, les sirtes mornes, nues,
    Mêlent leurs bords dans les ombres chenues.
    En scintillant dans le zénith d'azur,
    On voit percer l'étoile solitaire :
    A l'occident, séparé de la terre,
    L'écueil blanchit sous un horizon pur,
    Tandis qu'au nord, sur les mers cristallines,
    Flotte la nue en vapeurs purpurines.
    D'un carmin vif les monts sont dessinés ;
    Du vent du soir se meurt la voix plaintive ;
    Et mollement l'un à l'autre enchaînés,
    Les flots calmés expirent sur la rive.
    Tout est grandeur, pompe, mystère, amour :
    Et la nature, aux derniers feux du jour,
    Avec ses monts, ses forêts magnifiques,
    Son plan sublime et son ordre éternel,
    S'élève ainsi qu'un temple solennel,
    Resplendissant de ses beautés antiques.
    Le sanctuaire où le Dieu s'introduit
    Semble voilé par une sainte nuit ;
    Mais dans les airs la coupole hardie,
    Des arts divins, gracieuse harmonie,
    Offre un contour peint des fraîches couleurs
    De l'arc-en-ciel, de l'aurore et des fleurs.

    Chateaubriand

     

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  • Nous verrons...

     

     

    François-René de CHATEAUBRIAND
    1768 - 1848

     

    Nous verrons

    Le passé n'est rien dans la vie,
    Et le présent est moins encor ;
    C'est à l'avenir qu'on se fie
    Pour donner joie et trésor.
    Tout mortel dans ses yeux devance
    Cet avenir où nous courrons ;
    Le bonheur est espérance ;
    On vit, en disant : nous verrons.

    Mais cet avenir plein de charmes,
    Qu'en est-il lorsqu'il est arrivé ?
    C'est le présent qui, de nos larmes,
    Matin et soir est abreuvé !
    Aussitôt que s'ouvre la scène
    Qu'avec ardeur nous désirons,
    On bâille, on la regarde à peine ;
    On vit, en disant : nous verrons.

    Ce vieillard penche vers la terre :
    Il touche à ses derniers instants ;
    Y pense-t-il ? Non : il espère
    Vivre encore soixante-dix ans.
    Un docteur, fort d'expérience,
    Veut lui prouver que nous mourrons ;
    Le vieillard rit de la sentence
    Et meurt, en disant : nous verrons.

    Valère et Damis n'ont qu'une âme,
    C'est le modèle des amis.
    Valère en un malheur réclame
    La bourse et les soins de Damis :
    " Je viens à vous, ami si tendre,
    Ou ce soir au fond des prisons...
    - Quoi ! ce soir même ? - On peut attendre.
    Revenez demain : nous verrons. "

    Nous verrons est un mot magique
    Qui sert dans tous les cas fâcheux.
    Nous verrons, dit le politique ;
    Nous verrons, dit le malheureux.
    Les grands hommes de nos gazettes,
    Les rois du jour, les fanfarons,
    Les faux amis, les coquettes,
    Tout cela vous dit : nous verrons.

     

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  • Nuit de printemps

    François-René de CHATEAUBRIAND
    1768 - 1848

     

    Nuit de printemps

    Le ciel est pur, la lune est sans nuage :
    Déjà la nuit au calice des fleurs
    Verse la perle et l'ambre de ses pleurs ;
    Aucun zéphyr n'agite le feuillage.
    Sous un berceau, tranquillement assis,
    Où le lilas flotte et pend sur ma tête,
    Je sens couler mes pensers rafraîchis
    Dans les parfums que la nature apprête.
    Des bois dont l'ombre, en ces prés blanchissants,
    Avec lenteur se dessine et repose,
    Deux rossignols, jaloux de leurs accents,
    Vont tour à tour réveiller le printemps
    Qui sommeillait sous ces touffes de rose.
    Mélodieux, solitaire Ségrais,
    Jusqu'à mon coeur vous portez votre paix !
    Des prés aussi traversant le silence,
    J'entends au loin, vers ce riant séjour,
    La voix du chien qui gronde et veille autour
    De l'humble toit qu'habite l'innocence.
    Mais quoi ! déjà, belle nuit, je te perds !
    Parmi les cieux à l'aurore entrouverts,
    Phébé n'a plus que des clartés mourantes,
    Et le zéphyr, en rasant le verger,
    De l'orient, avec un bruit léger,
    Se vient poser sur ces tiges tremblantes.

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