
Les cygnes blancs, dans les canaux des villes mortes,
Parmi l'eau pâle où les vieux murs sont décalqués
Avec des noirs usés d'estampes et d'eaux-fortes,
Les cygnes vont comme du songe entre les quais.
Et le soir, sur les eaux doucement remuées,
Ces cygnes imprévus, venant on ne sait d'où,
Dans un chemin lacté d'astres et de nuées
Mangent des fleurs de lune en allongeant le cou.
Or ces cygnes, ce sont des âmes de naguères
Qui n'ont vécu qu'à peine et renaîtront plus tard,
Poètes s'apprenant aux silences de l'art,
Qui s'épurent encore en ces blancs sanctuaires,
Poètes décédés enfants, sans avoir pu
Fleurir avec des pleurs une gloire et des nimbes,
Ames qui reprendront leur oeuvre interrompu
Et demeurent dans ces canaux comme en des limbes !
Mais les cygnes royaux sentant la mort venir
Se mettront à chanter parmi ces eaux plaintives
Georges Rodenbach, né le 16 juillet 1855 à Tournai et décédé le 25 décembre 1898 à Paris, est un poète symboliste et un romancier belge de la fin du XIXe siècle. En 1877, il publie son premier recueil de vers, Le Foyer et les Champs.
En 1878, il effectue un premier séjour dans la Ville lumière où il fréquente assidument le cercle des Hydropathes. Il y nouera ses premières relations parisiennes : Catulle Mendès, François Coppée, Maurice Barrès ...
En 1894, il est le premier auteur belge à voir une de ses œuvres, Le Voile, mise au répertoire de la Comédie-Française.
Il impose dans le rôle principal la jeune Marguerite Moreno qui l'évoque dans ses souvenirs littéraires. La même année, il est décoré de la Légion d'Honneur. En 1896, il publie Les Vies encloses, recueil de poèmes inspiré par l'occultisme (Novalis) et le romantisme allemands.
Bien que malade depuis de longues années, il publie un autre chef-d'œuvre, également situé à Bruges, Le Carillonneur (1897)