• L'éloge de la peinture

     

    A de simples couleurs mon art plein de magie
    Sait donner du relief, de l’âme, et de la vie :
    Ce n’est rien qu’une toile, on pense voir des corps
    J’évoque, quand je veux, les absents et les morts ;
    Quand je veux, avec l’art je confonds la nature :
    De deux peintres fameux qui ne sait l’imposture ?
    Pour preuve du savoir dont se vantaient leurs mains,
    L’un trompa les oiseaux, et l’autre les humains.
    Je transporte les yeux aux confins de la terre :
    Il n’est événement ni d’amour, ni de guerre,
    Que mon art n’ait enfin appris à tous les yeux.
    Les mystères profonds des enfers et des cieux
    Sont par moi révélés, par moi l’oeil les découvre ;
    Que la porte du jour se ferme, ou qu’elle s’ouvre.
    Que le soleil nous quitte, ou qu’il vienne nous voir
    Qu’il forme un beau matin, qu’il nous montre un beau soir,
    J’en sais représenter les images brillantes.
    Mon art s’étend sur tout ; c’est par mes mains savantes
    Que les champs, les déserts, les bois et les cités,
    Vont en d’autres climats étaler leurs beautés.
    Je fais qu’avec plaisir on peut voir des naufrages,
    Et les malheurs de Troie ont plu dans mes ouvrages :
    Tout y rit, tout y charme ; on y voit sans horreur
    Le pâle Désespoir, la sanglante Fureur,
    L’inhumaine Clothon qui marche sur leurs traces ;
    Jugez avec quels traits je sais peindre les Grâces.
    Dans les maux de l’absence on cherche mon secours :
    Je console un amant privé de ses amours ;
    Chacun par mon moyen possède sa cruelle.
    Si vous avez jamais adoré quelque belle
    (Et je n’en doute point, les sages ont aimé),
    Vous savez ce que peut un portrait animé :
    Dans les coeurs les plus froids il entretient des flammes.
    Je pourrais vous prier par celui de vos dames ;
    En faveur de ses traits, qui n’obtiendrait le prix ?
    Mais c’est assez de Vaux pour toucher vos esprits
    Voyez, et puis jugez ; je ne veux autre grâce.
    Jean de La Fontaine

     

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  • Eloge de la peinture

    A de simples couleurs mon art plein de magie
    Sait donner du relief, de l’âme, et de la vie :
    Ce n’est rien qu’une toile, on pense voir des corps.
    J’évoque, quand je veux, les absents et les morts ;
    Quand je veux, avec l’art je confonds la nature :
    De deux peintres fameux qui ne sait l’imposture ?
    Pour preuve du savoir dont se vantaient leurs mains,
    L’un trompa les oiseaux, et l’autre les humains.
    Je transporte les yeux aux confins de la terre :
    Il n’est événement ni d’amour, ni de guerre,
    Que mon art n’ait enfin appris à tous les yeux.
    Les mystères profonds des enfers et des cieux
    Sont par moi révélés, par moi l’oeil les découvre ;
    Que la porte du jour se ferme, ou qu’elle s’ouvre.
    Que le soleil nous quitte, ou qu’il vienne nous voir
    Qu’il forme un beau matin, qu’il nous montre un beau soir,
    J’en sais représenter les images brillantes.
    Mon art s’étend sur tout ; c’est par mes mains savantes
    Que les champs, les déserts, les bois et les cités,
    Vont en d’autres climats étaler leurs beautés.
    Je fais qu’avec plaisir on peut voir des naufrages,
    Et les malheurs de Troie ont plu dans mes ouvrages :
    Tout y rit, tout y charme ; on y voit sans horreur
    Le pâle Désespoir, la sanglante Fureur,
    L’inhumaine Clothon qui marche sur leurs traces ;
    Jugez avec quels traits je sais peindre les Grâces.
    Dans les maux de l’absence on cherche mon secours :
    Je console un amant privé de ses amours ;
    Chacun par mon moyen possède sa cruelle.
    Si vous avez jamais adoré quelque belle
    (Et je n’en doute point, les sages ont aimé),
    Vous savez ce que peut un portrait animé :
    Dans les coeurs les plus froids il entretient des flammes.
    Je pourrais vous prier par celui de vos dames ;
    En faveur de ses traits, qui n’obtiendrait le prix ?
    Mais c’est assez de Vaux pour toucher vos esprits
    Voyez, et puis jugez ; je ne veux autre grâce.

     

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  • .L'homme entre deux âges....

    L'HOMME ENTRE DEUX ÄGES  ET SES DEUX MAÎTRESSES

    Un homme de moyen âge,
                    Et tirant sur le grison,
                    Jugea qu'il était saison
                    De songer au mariage.
                        Il avait du comptant,
                             Et partant
            De quoi choisir. Toutes voulaient lui plaire ;
    En quoi notre Amoureux ne se pressait pas tant :
            Bien adresser n'est pas petite affaire.
    Deux Veuves sur son coeur eurent le plus de part ;
            L'une encor verte, et l'autre un peu bien mûre,
                    Mais qui réparait par son art
                    Ce qu'avait détruit la nature.
                    Ces deux Veuves, en badinant,
                    En riant, en lui faisant fête,
                    L'allaient quelquefois testonnant ,
                    C'est à dire ajustant sa tête.
    La Vieille à tous moments de sa part emportait
                    Un peu du poil noir qui restait,
    Afin que son Amant en fût plus à sa guise.
    La Jeune saccageait les poils blancs à son tour.
    Toutes deux firent tant, que notre tête grise
    Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
            Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles,
                  Qui m'avez si bien tondu :
                  J'ai plus gagné que perdu ;
                  Car d'hymen point de nouvelles.
    Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon
                Je vécusse, et non à la mienne.
                Il n'est tête chauve qui tienne ;
    Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.

    Jean de la Fontaine

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  • L'AMOUR ET LA FOLIE
    Tout est mystère dans l'Amour,
    Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance :
                  Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour
                  Que d'épuiser cette science.
    Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
    Mon but est seulement de dire à ma manière
                  Comment l'aveugle que voici
    (C'est un Dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière ;
    Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ;
    J'en fais juge un amant, et ne décide rien.
    La Folie et l'Amour jouaient un jour ensemble :
    Celui-ci n'était pas encor privé des yeux.
    Une dispute vint : l'Amour veut qu'on assemble
                  Là-dessus le conseil des dieux ;
                  L'autre n'eut pas la patience ;
           Elle lui donne un coup si furieux,
                  Qu'il en perd la clarté des cieux.
                  Vénus en demande vengeance.
    Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris :
                  Les Dieux en furent étourdis,
                  Et Jupiter, et Némésis,
    Et les Juges d'Enfer, enfin toute la bande.
    Elle représenta l'énormité du cas :
    Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas :
    Nulle peine n'était pour ce crime assez grande :
    Le dommage devait être aussi réparé.
                  Quand on eut bien considéré
    L'intérêt du Public, celui de la Partie,
    Le résultat  enfin de la suprême Cour
                  Fut de condamner la Folie
                  A servir de guide à l'Amour.

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  • Les femmes et le secret

     

    LES FEMMES ET LE SECRET

                   Rien ne pèse tant qu'un secret ;
          Le porter loin est difficile aux Dames :
                   Et je sais même sur ce fait
                   Bon nombre d'hommes qui sont femmes.
    Pour éprouver la sienne un Mari s'écria
    La nuit étant près d'elle : Ô Dieux ! qu'est-ce cela ?
                   Je n'en puis plus ; on me déchire ;
    Quoi ! j'accouche d'un oeuf ! D'un oeuf ? Oui, le voilà
    Frais et nouveau pondu. Gardez bien de le dire :
    On m'appellerait Poule. Enfin n'en parlez pas.
                   La femme neuve sur ce cas,
                   Ainsi que sur mainte autre affaire,
    Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire.
                   Mais ce serment s'évanouit
                  ;Avec les ombres de la nuit.
                   L'Épouse indiscrète et peu fine,
    Sort du lit quand le jour fut à peine levé :
                   Et de courir chez sa voisine.
    Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé :
    N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre.
    Mon mari vient de pondre un oeuf gros comme quatre.
                   Au nom de Dieu gardez-vous bien
                   D'aller publier (1) ce mystère.
    Vous moquez-vous ? dit l'autre : Ah ! vous ne savez guère
          Quelle (2) je suis. Allez, ne craignez rien.
    La femme du pondeur (3) s'en retourne chez elle.
    L'autre grille déjà de conter la nouvelle :
    Elle va la répandre en plus de dix endroits.
                   Au lieu d'un oeuf elle en dit trois.
    Ce n'est pas encore tout, car une autre commère
    En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait,
                   Précaution peu nécessaire,
                   Car ce n'était plus un secret.
    Comme le nombre d'oeufs, grâce à la renommée,
                   De bouche en bouche allait croissant,
                   Avant la fin de la journée
                   Ils se montaient à plus d'un cent.

    Jean de La Fontaine

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  •  

    L'Hirondelle et les petits oiseaux


    Une Hirondelle en ses voyages
    Avait beaucoup appris.
    Quiconque a beaucoup vu
    Peut avoir beaucoup retenu.
    Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,
    Et devant qu'ils fussent éclos,
    Les annonçait aux Matelots.
    Il arriva qu'au temps que le chanvre se sème,
    Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
    "Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons :
    Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême,
    Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
    Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
    Un jour viendra, qui n'est pas loin,
    Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
    De là naîtront engins à vous envelopper,
    Et lacets pour vous attraper,
    Enfin mainte et mainte machine
    Qui causera dans la saison
    Votre mort ou votre prison :
    Gare la cage ou le chaudron !
    C'est pourquoi, leur dit l'Hirondelle,
    Mangez ce grain; et croyez-moi. "
    Les Oiseaux se moquèrent d'elle :
    Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
    Quand la chènevière fut verte,
    L'Hirondelle leur dit : "Arrachez brin à brin
    Ce qu'a produit ce maudit grain,
    Ou soyez sûrs de votre perte.
    - Prophète de malheur, babillarde, dit-on,
    Le bel emploi que tu nous donnes !
    Il nous faudrait mille personnes
    Pour éplucher tout ce canton. "
    La chanvre étant tout à fait crue,
    L'Hirondelle ajouta : "Ceci ne va pas bien ;
    Mauvaise graine est tôt venue.
    Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
    Dès que vous verrez que la terre
    Sera couverte, et qu'à leurs blés
    Les gens n'étant plus occupés
    Feront aux oisillons la guerre ;
    Quand reginglettes et réseaux
    Attraperont petits Oiseaux,
    Ne volez plus de place en place,
    Demeurez au logis, ou changez de climat :
    Imitez le Canard, la Grue, et la Bécasse.
    Mais vous n'êtes pas en état
    De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
    Ni d'aller chercher d'autres mondes ;
    C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr :
    C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur. "
    Les Oisillons, las de l'entendre,
    Se mirent à jaser aussi confusément
    Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre
    Ouvrait la bouche seulement.
    Il en prit aux uns comme aux autres :
    Maint oisillon se vit esclave retenu.
    Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres,
    Et ne croyons le mal que quand il est venu.

    La Fontaine

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