• Paris

     Paris
    Poète : Louise Colet (1810-1876)

    Quand je vais triste et seule, et que, dans le ciel gris,
    Je suis quelque nuage errant sur les toitures,
    Et, comme ces draps noirs qu'on met aux sépultures,
    Couvrant des boulevards les arbres rabougris ;
    Lorsqu'au bourdonnement de ce chaos qui passe,
    De ce peuple encombrant l'horizon et l'espace ;
    De ces milliers de bruits dans l'air se confondant
    Comme un cri de blasphème immense et discordant,
    Je marche, et que ma vue est tristement frappée
    Par cette Babylone à la vie occupée,
    A la vie où la chair est tout et l'esprit rien,
    Où le mal triomphant aux pieds foule le bien,
    Où la plèbe se rue au plaisir qui l'appelle,
    Où jouir est le mot que toute langue épelle,
    Où les hommes parqués comme de vils troupeaux,
    Vont dévorant leurs jours sans bonheur ni repos,
    Quand toutes ces maisons où la lumière monte
    Se pavanent le soir pour le crime ou la honte,
    Et que la poésie en sa virginité
    En voit sortir fardé, par l'art ou la beauté,
    Le vice... saltimbanque immonde qui s'étale
    Et vend tout pour de l'or dans cette capitale ;
    Alors, ce faux Paris, ce Paris idéal,
    Que je rêvais si grand sous mon beau ciel natal,
    Se dissout à mes yeux comme un trompeur mirage ;
    Et le Paris réel accable mon courage.
    Craintive, je voudrais, m'enfuyant au désert,
    Sortir de cet abîme où j'ai longtemps souffert ;
    Je voudrais, nivelant tous ces amas de pierres,
    Sur la mer, sur le ciel, reporter mes paupières,
    Loin de ces lieux impurs, qu'on dit civilisés,
    Sentir le souffle frais de nos vents alizés
    Glisser dans mes cheveux, dilater ma poitrine,
    M'empreindre des parfums de la vague marine...
    Je voudrais m'élancer ainsi qu'un jeune faon,
    Libre, sur les rochers où je bondis enfant.

    Puis, lorsque sous mon toit rêvant ainsi je rentre,
    Et que, près du foyer mon âme se concentre,
    Je pleure en me disant que je ne pourrais plus
    Séparer mon cœur pur de ces cœurs dissolus ;
    Que l'art, la poésie, et les splendeurs que j'aime,
    Se retrouvent au fond de cette fange même,
    Qu'il faut, pour en tirer quelques parcelles d'or,
    Dans cet abîme impur longtemps plonger encore ;
    Que tout génie humain acceptant ce mélange,
    A, sur ce sol ardent, brûlé ses ailes d'ange,
    Et que, pour satisfaire un rêve de l'orgueil,
    Je dois fendre la mer sans regarder recueil.

    Et pourtant je le sens, ce cœur qui s'interroge
    Repousserait l'encens et l'éclat de l'éloge,
    S'il pouvait retrouver cet amour maternel,
    Amour qui vient des cieux, amour seul éternel,
    Amour que j'ai perdu, qui me manque à toute heure,
    Qui prendrait la moitié des tourments dont je pleure,
    Amour actif et saint qui veillerait sur moi,
    Quand au bord du volcan je marche avec effroi !
    Oh ! que je fus coupable et que je suis punie !
    Mon Dieu ! j'avais ma mère, et vous m'aviez bénie
    De son amour profond, et je n'ai bien compris
    Qu'après l'avoir perdu quel en était le prix.
    Pour l'arracher une heure au marbre de la tombe,
    Mon Dieu, que de mon front toute couronne tombe,
    Que ces biens qu'appelait mon désir insensé
    S'éloignent pour toujours, mon cœur en est lassé ;
    Que ces rêves d'orgueil que la jeunesse couve
    S'éteignent dans mon sein, mais que je la retrouve !

    Oh ! que je sente encore se poser sur mon front
    Ces baisers maternels qui le rafraîchiront !
    Que je l'entende enfin, cette voix d'une amie,
    Pour moi depuis trois ans étouffée, endormie !
    Une heure, une heure encore que je puisse la voir,
    Tendre vers moi ses bras prêts à me recevoir,
    Et je m'y jetterai !... Puis, nous irons ensemble
    Dans le champ qu'elle aimait et qu'ombrage le tremble,
    Au bout de l'aqueduc, où la source à couvert
    Dérobe ses flots purs sous le feuillage vert ;
    Où l'aubépine en fleurs s'étend comme un blanc voile,
    Où le trèfle naissant de boutons d'or s'étoile ;
    Puis, nous irons cueillir aux branches des pommiers,
    Les fruits que le soleil a mûris les premiers.
    Nous irons secourir aux moissons, aux vendanges,
    Les pauvres qui diront : « Ces femmes sont des anges. »
    Et j'oublierai le monde, attachée à ses pas,
    Le monde qui distrait du bonheur qu'on n'a pas.


    À découvrir sur le site https://www.poesie-francaise.fr/louise-colet/poeme-paris.php

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  • La pluie

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  • C'est noir et j'ai froid

    Tout est noir et il fait froid,
    En cette fin saison estivale,
    Où malgré les fleurs de la lune,
    Aucune n'embaume le lilas.

    Pensées mélancoliques,
    Sevrées de chaleur humaine,
    J'imagine ce coin en hiver,
    Ébouriffé par la Tramontane. 

    Où le bonheur en cloque,

    s'affiche sur papier glacé,
    Où ce qui semble chouette,
    Ne hulule que pour chialer.

    Où dans ma chambre, esseulée,
    Ma vieille Choupy ronronne,
    Rêvant si fort au Chat Botté,
    Que mes draps s'en étonnent

    Où tout au fond de la ville,

    Des maisons devenues borgnes,
    A force d'être crevées d'injustices,
    Puant la misère des autres.

    Cette misère me bouscule,

    Tant  je l'entends qui hurle,
    Tant je reçois son souffle,
    Fétide en plein visage.

    Malgré les fleurs de la lune,

    Rien n'embaume le lilas,

    Où des souris en tenue légère,
    Monnayent ainsi leur talent.
    Avant que tout s'efface,
    Dans la pisse et la crasse,
    Car même ces sales amours,
    N'ont rien de dégueulasses.
    Combien de  foules fantômes,
    Sur ce vieux macadam boiteux,
    Attirent autant de satyres,
    Et leurs désirs peu envieux,
    Au recoin d'une fausse ruelle,
    Où se traîne sans peine,
    L'inutile et lourd fardeau,

    D'une détresse trop humaine.

    Cette nuit j'erre bien seul,

    En cette  fin saison  estivale,
    Où malgré les fleurs de la lune,
    Rien n'embaume le lilas...

    TIMILO

    www.lejardinpoétiquedetimilo.com

     

     

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  • Un automne à Paris
    par Aros


    Jour après jour le soleil perd de son éclat,

    Il décline, impuissant, et semble s’encombrer

    De bien pâles lueurs ouvrant en vain leurs bras

    Sur la froide quiétude des parcs mordorés.

    Automne tu t’installes imperturbablement

    En assiégeant Paris de tristes brumes grises,

    Leurs balais langoureux drapent ses monuments

    En reflets incertains que l’esprit diabolise.

    Tes lugubres matins pèsent de leur mépris

    Sur les formes confuses des badauds pressés,

    Mais le métro s’offrant comme un ultime abri

    Les happent goulûment dans ses rames bondées.

    Automne, triste automne, lorsque s’en vient la nuit

    Sur le cours de la Seine et le pont Mirabeau…

    Faut-il qu’il t’en souvienne,Paris éblouit.

    Paris reste un éclat en ton morne tableau.

     


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  • Vigne vierge d'automne

    Vigne vierge d’automne

    Sabine Sicaud

    Vous laissez tomber vos mains rouges,
    Vigne vierge, vous les laissez tomber
    Comme si tout le sang du monde était sur elles.

    À leur frisson, toute la balustrade bouge,
    Tout le mur saigne,
    Ô vigne vierge… Tout le ciel est imbibé
    D’une même lumière rouge.

    C’est comme un tremblement d’ailes rouges qui tombent,
    D’ailes d’oiseaux des îles, d’ailes
    Qui saignent. C’est la fin d’un règne –
    Ou quelque chose de plus simple infiniment.

    Ce sont les pieds palmés de hauts flamants
    Ou de fragiles pattes de colombes
    Qui marchent dans l’allée.
    (Où vont-elles, si rouges ?)
    Leurs traces étoilées
    Rejoignent l’autre vigne, où l’on vendange.
    Si rouge,
    Est-ce déjà le sang des cuves pleines ?
    Ah ! simplement la fête des vendanges,
    Simplement n’est-ce pas ?

    Et pourtant, que vos mains sont tremblantes ! Leurs veines
    Se rompent une à une… Tant de sang…
    Et cette odeur si fade, étrange.
    Ces mains qui tombent d’un air las,
    Ô vigne vierge, d’un air las et comme absent,
    Ces mains abandonnées…

    (Lady Macbeth n’eut-elle pas ce geste
    Après avoir frotté la tache si longtemps ?)

    Mains qui se crispent, mains qui restent
    En lambeaux rouges sur octobre palpitant ;
    Dites, oh ! dites chaque année
    Êtes-vous les mains meurtrières de l’Automne ?

    Ou chaque année,
    Sans rien qui s’en émeuve ni personne,
    Des mains assassinées
    Qui flottent au fil rouge de l’automne ?

     

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  • Aux trois aimés

    Aux trois aimés

    Marceline Desbordes-Valmore

    De vous gronder je n'ai plus le courage,
    Enfants ! ma voix s'enferme trop souvent.
    Vous grandissez, impatients d'orage ;
    Votre aile s'ouvre, émue au moindre vent.
    Affermissez votre raison qui chante ;
    Veillez sur vous comme a fait mon amour ;
    On peut gronder sans être bien méchante :
    Embrassez-moi, grondez à votre tour.

    Vous n'êtes plus la sauvage couvée,
    Assaillant l'air d'un tumulte innocent ;
    Tribu sans art, au désert préservée,
    Bornant vos voeux à mon zèle incessant :
    L'esprit vous gagne, ô ma rêveuse école,
    Quand il fermente, il étourdit l'amour.
    Vous adorez le droit de la parole :
    Anges, parlez, grondez à votre tour.

    Je vous fis trois pour former une digue
    Contre les flots qui vont vous assaillir :
    L'un vigilant, l'un rêveur, l'un prodigue,
    Croissez unis pour ne jamais faillir,
    Mes trois échos ! l'un à l'autre, à l'oreille,
    Redites-vous les cris de mon amour ;
    Si l'un s'endort, que l'autre le réveille ;
    Embrassez-le, grondez à votre tour !

    Je demandais trop à vos jeunes âmes ;
    Tant de soleil éblouit le printemps !
    Les fleurs, les fruits, l'ombre mêlée aux flammes,
    La raison mûre et les joyeux instants,
    Je voulais tout, impatiente mère,
    Le ciel en bas, rêve de tout amour ;
    Et tout amour couve une larme amère :
    Punissez-moi, grondez à votre tour.

    Toi, sur qui Dieu jeta le droit d'aînesse,
    Dis aux petits que les étés sont courts ;
    Sous le manteau flottant de la jeunesse,
    D'une lisière enferme le secours !
    Parlez de moi, surtout dans la souffrance ;
    Où que je sois, évoquez mon amour :
    Je reviendrai vous parler d'espérance ;
    Mais gronder… non : grondez à votre tour !

     

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